Caresser Le cheval de Nietzsche.
« Je ne maîtrise pas encore l’art de parler des livres que je n’ai pas lus. Car c’est tout un art, basé sur une extrême prudence, sur le maniement habile de l’ambiguïté, des généralités, sur le dosage adéquat de l’éloge et de la réticence, que sais-je encore ? » (1)
C’est exactement la même réflexion que je me suis faite après avoir lu les trois premiers récits de : Le cheval de Nietzsche. Je me suis dit : c’est le deuxième livre signé Abdelfattah Kilito que j’entame, pourtant je ne me suis pas encore fait une idée profonde et globale sur ses écrits. Avant même que je ne fasse connaissance de son style et des thématiques qu’il aborde, les remarques qui m’ont été rapportées par ceux qui n’ont pas lu les ouvrages de ce grand écrivain, étaient en général ambiguës et dénotent une carence par rapport à ses œuvres . On me présente souvent cet intellectuel entant qu’académicien qui aborde ses thèmes avec une rare profondeur, tout en articulant le patrimoine culturel arabe avec la littérature française entre autres. En dépit de la pertinence de ce jugement, il me semble que ça ne me suffit pas pour me faire une idée aussi profonde qu’on nous la délivre, surtout par ceux qui se contentent de ruminer quelques bribes, pour ne pas dire débris de méta textes sur ses ouvrages parus dans des journaux.
A mon avis, la seule voie qu’il faut emprunter pour bannir le prétexte, c’est d’écouter le texte tel qu’il est rédigé par son auteur afin d’en explorer la teneur de ce qui nous parle. J’ai donc opté pour ce choix dur mais bénéfique, en me servant de ce que j’ai gardé du premier ouvrage que j’ai déjà lu de cet écrivain marocain, (2)en plus de mon modeste cumul de ce qu’il traite dans son texte : Le cheval de Nietzsche. Ce ci dit, Mon humble grille de lecture de ces récits ne prétend pas appartenir à la critique au sens académique du terme. Il s’agit tout simplement d’un partage de ce qui me semble intéressant dans cet écrit et d’une invitation envoyée à celles et ceux qui veulent savourer une objectivation dont la créativité s’exprime avec une langue française fine et très bien travaillée.
Quelles sont les thèmes qui m’ont intéressé dans : Le cheval de Nietzsche ?
Abdelfattah Kilito ne raconte pas une autobiographie qui prête une grande importance aux détails de la vie quotidienne selon laquelle chaque lecteur et lectrice y trouve son compte. Autrement dit, l’univers de cet écrivain revêt une particularité que l’on ne trouve pas chez des écrivains dont le récit nous introduit facilement dans son univers, en nous identifiant au texte sous prétexte qu’il nous représente. Kilito pioche, d’une façon herméneutique la relation entre la lecture et l’écriture, par l’apprentissage. Son message est clair, voire évident : on ne peut pas écrire sans lire. Mais la clarté de ce message n ‘émane pas d’une prophétie ni même d’une philosophie qui crée des maximes. C’est dans le récit qu’il nous propose de résoudre cette corrélation dont on n ‘en a pris conscience qu’avec le recul. Tout débute par copier, recopier et transcrire. C’est là où le parallèle a son importance déterminante car il se réfère à une pratique empruntée au grand penseur qui n’est autre qu’Alain. Le fait que le jeune lycéen trouve le plaisir de copier des textes que son professeur lui demande, est en quelque sorte le déclenchement d’un processus qui va surement aboutir à l’écriture au sens créatif du terme. Lire d’abord et puis écrire en suite. Ce qui importe, c’est de recopier le texte. Après, on verra avec sa signification. Aux herméneutes de nous aider. Transcrire semble mécanique. Pourtant, cet exercice est loin d’être monotone car il ne s’agit pas d’une punition qui consiste à recopier le même texte plusieurs fois. L’impact de cet exercice est invisible dans l’immédiat, en particulier pour ceux qui n’ont pas l’habitude de s’y mettre. Du coup, les prémisses de la première récolte de cet exercice dont l’écriture fait l’objet de transposition et dont la compréhension s’invite, malgré le fait qu’elle n‘est pas visée, ni même un objectif en soi, lesquelles prémisses se traduiront par la rédaction. D’où la légitimité de la question de ce jeune lycéen qui passe tout son temps à recopier les grands textes : quand est-ce que je deviendrai écrivain moi aussi ? Au demeurant, la rédaction est un pas pour l’écriture et une phase déterminante en vue de réaliser ce projet, dans vingt ou quarante ans. Qui sait ? De toutes façons, rien ne se perd dans la relation : écriture et lecture, même s’il l’on ne devient pas écrivain car cet apprentissage forge davantage le sens du savoir et contribue sur le long terme à la formation de l’esprit. D’autant plus que la transcription aiguise la mémoire par le biais de la récitation.
Le cheval de Nietzsche témoigne à mon avis d’une période de l’enseignement public dont la rigueur et la critique étaient de mise. Malgré les critiques réductrices que des arabisants ne cessent d’émettre à l’égard de ce système éducatif sous prétexte qu’il vise à enraciner la langue française au détriment de la langue arabe, ce système nous a aidés à apprendre une deuxième langue. N’oublions pas que la crème des intellectuelles et intellectuels marocaine a évolué dans ces écoles. Hypocrisie sociale, ces mêmes ennemis de la francophonie ont envoyé leurs enfants pour étudier dans des écoles françaises de crainte qu’ils ne soient contaminés par l’arabisation qui ne mène à leurs yeux, nulle part.
Je vous invite à visiter le monde d’Abdelfattah Kilito. Il va sûrement vous séduire par son écriture et la richesse de ses lectures.
Abdelmajid BAROUDI
Notes
1-Le cheval de Nietzsche
Récits
Abdelfattah kilito
Editions : Le Fennec
Page : 170
2-Le plaisir de lire et relire l’ouvrage d’Abdelfattah Kilito : Je parle toutes les langues mais en arabe (*) stimule le sens de la métaphore et le pourquoi de la capitalisation sur la pertinence et la sagesse de l’écrit arabe classique. L’auteur n’est pas Adam qui a perdu son arabe une fois chassé du paradis, car le quotidien l’a obligé de se consommer dans un arabe dialectal tolérant.
Son histoire avec le lu et l’écrit est contaminée par le souci de ne pas commettre d’erreurs. Il a étudié le français non pour le parler, mais pour le lire et l’écrire. Face à la banalisation de la tolérance, même la rigueur de l’écrit ne permet pas de parler et le français et l’arabe couramment. Du coup, écrire et lire sont synonymes de réfléchir dans une langue structurée qui impose ses règles et engendre le souci de l’apprendre davantage. Pourtant, on a toujours l’impression qu’elle nous trahit. Et puis, on ne la maîtrisera jamais, car la probabilité de fauter est si grande qu’il est difficile de se relever d’une chute.
(*)Je parle toutes les langues, mais en arabe. Abdelfattah Kilito. Sindbad ACTES SUD 2013
Abdelmajid BAROUDI